extrait de Karaté Bushido N°171

Il y a environ 70 ans, à Pékin, Tung Ying-Chieh (Dong Ying Jie) ouvrit l’une des quelques rares écoles de Taï Chi Chuan. Il enseigna tout ce qu’il savait à son fils Hu-Ling qui l’aida à ouvrir d’autres écoles. Les deux générations Tung enseignaient à Pékin, Hong Kong, en Malaisie et en Thaïlande. En 1967, Tung Hu-Ling visita les Etats-Unis pour y susciter plus d’intérêt pour son art. Avant de revenir à Hong Kong, il promit qu’il visiterait à nouveau les Etats-Unis et y resterait plus longtemps s’il voyait croître l’intérêt pour le Taï Chi Chuan. L’intérêt pour cet art s’y développa ; en effet Tung y retourna comme promis et y fonda diverses écoles à Hawaï et en Californie.
Comme il lui devenait difficile de s’occuper seul de tous ses étudiants, il appela de Hong Kong l’un de ses fils, Kai-Ying.
Agé de 50 ans, Tung Kai-Ying est un expert de Taï Chi Chuan de la 2ème génération. Nommé par son fameux grand-père, Kai-Ying signifie « perpétuer la valeur et la renommée de son grand-père ». Ainé de quatre enfants, Tung commença à étudier le Taï Chi Chuan à Pékin, sa ville natale à l’âge de 8 ans, et reçut le titre de professeur (équivalent de sen-seï en japonais) quand il avait juste 17 ans.
Le jeune Tung avait voyagé à travers Singapour, la Malaisie et la Thaïlande, faisant partout la preuve de son talent. Sa femme et lui arrivèrent à Hawaï pour la première fois en 1969. En février 1971, ils déménagèrent à Los Angeles et y établirent la « Kai-Ying Tung Academy of Taï Chi Chua » au 3605 Sunset bld. Le propos de base du Taï Chi Chuan, explique Tung, c’est de vivre en meilleure santé par des exercices appropriés. Cependant, il en découle deux autres desseins : l’application de l’art au sport, et l’application de l’art à la self défense. Pour apprécier pleinement l’aspect exercice, l’étudiant doit se familiariser avec le principe du Taï Chi Chuan (Faîte Suprême). Le Chi est considéré comme le cœur central du Taï Chi Chuan (Poing du Faîte Suprême). C’est un concept semblable à celui du Ki en Aïkido. C’est une force mentale qui donne à celui qui l’utilise plus de puissance et de vigueur quand elle se combine à la force physique.
« II y a à la base 81 ou 108 mouvements ou postures » dit Tung. « Ces postures peuvent être étudiées en 3 ou 4 mois d’apprentissage sérieux. Tous les mouvements sont faits avec le corps détendu et calme, mais l’esprit concentré. Comme les mouvements d’un chat, ils sont légers et fermes. Quand vous reculez, vous touchez d’abord le sol par les orteils ; quand vous avancez, c’est d’abord le talon. Le ressort essentiel du mouvement réside dans la taille. Les mouvements essentiels des membres sont lents et ceux de la taille sont fluides. La taille ressemble à un grand essieu. Membres, mains, coudes, sont la circonférence de la roue ».

Le calme de l’esprit
D’après Tung, tous les mouvements sont composés de cercles. La meilleure méthode est de neutraliser la force de l’attaquant. La neutralisation est basée sur la théorie taoïste du Yin et du Yang, de la fermeté et de la souplesse, du négatif et du positif. Chacun est la cause de l’autre. Les mouvements sont lents. Ils s’accordent au calme de l’esprit. Ils n’ont pas d’interruption. Ils s’écoulent régulièrement, sans arrêt du début à la fin et les soucis quotidiens restent à l’extérieur. Les postures priment à l’esprit, et l’esprit n’embrasse rien d’autre que les postures.
C’est la combinaison de la force mentale et de la force physique qui donne aux exercices cette grâce et cette élégance qui rappellent la danse. Ils ont des noms poétiques comme « étreindre la queue du paon », « jouer de la guitare », « reculer et repousser le singe », « agiter les mains comme des nuages ». La pratique reconstruit le soi intérieur tout autant que le corps. Elle développe la conscience des forces cosmiques et de la nature. « L’avantage des exercices, dit Tung, est qu’on peut les pratiquer n’importe quand et n’importe où. L’étudiant débutant a besoin d’une plus grande place tout d’abord, puis il pourra pratiquer les postures dans un espace de quatre pieds carrés « .
Bien que le Taï Chi Chuan soit une branche de la boxe, il rejette paradoxalement la tradition de bravoure et de force. Ainsi, quand un expert en Taï Chi Chuan rencontre un adversaire qui le frappe, il se soumet et tire avantage de l’élan de cet adversaire qui, ne rencontrant pas de résistance, est poussé ou tiré en déséquilibre, et alors jeté au sol. « Si vous êtes attaqué par un homme de votre taille, vous pouvez utiliser de la force contre lui, raisonne Tung. Mais, pouvez-vous appliquer de la force contre quelqu’un qui a deux fois votre taille ? Non. Vous devez utiliser sa taille à votre avantage ; vous anticipez ses mouvements et cédez à sa force ; vous le déséquilibrez puis vous le couchez par vos propres mouvements ». Anticipation et sensibilité, selon Tung, sont développés par les exercices des « mains collantes » (ou Tuï Shou). Les étudiants placent l’arrière de leurs poignets et avant bras, l’un contre l’autre. Puis ils les bougent en un large cercle, chacun essayant de deviner le mouvement de l’autre et de leur faire perdre l’équilibre. Les deux restent calmes pendant l’exercice. Seuls bras et poignets bougent. Le contact avec la main de l’adversaire est maintenu sans interruption. Chacun n’est guidé que par le sens du toucher. A la plus petite pression de l’adversaire, l’étudiant cède ; au plus petit recul, il adhère. Le plan est de suivre l’adversaire comme son ombre. Une longue pratique permet à l’enseignant d’anticiper les mouvements de l’adversaire bien avant qu’il ne les fasse.

Imaginer l’adversaire
« L’étudiant ne doit pas oublier que le Taï Chi Chuan a aussi un propos pratique, dit Tung. Chaque mouvement a une application au combat. Pendant les exercices, vous imaginez tout le temps un adversaire devant vous. C’est la base de l’entrainement à la Self Défense. » L’application du Taï Chi Chuan à la Self Défense réside surtout dans l’aptitude à interpréter l’énergie. Tung continue : « Vous devez anticiper sur chaque mouvement de l’adversaire, bouger avant lui. Mais ne pas bouger s’il ne bouge pas ».
« C’est pour cela que les Tuï Shou sont importants, souligne Tung. Ils vous permettent de développer votre sensibilité, ce qui est la base de l’aptitude à interpréter la force. Quand vous atteindrez un niveau supérieur dans l’interprétation, votre sensibilité sera vive et pointue. Vous pourrez esquiver un coup par réflexe, même s’il arrive derrière vous. Le Taï Chi Chuan développe-t-il la résistance et le souffle comme la course renforce un boxeur ? » C’est tout à fait le cas répond Tung. « Les exercices sont d’abord lents, puis très rapides. Les séries entières de mouvements durent au moins 35 minutes. Cela demande déjà pas mal de résistance. Cependant, ajoute-t-il, le boxeur n’apprend que l’utilisation de la force et du pouvoir externe, l’étudiant en Taï Chi Chuan apprend à utiliser aussi bien le pouvoir interne « .

Ecrit par John Shirota en Aout 1972 pour Blackbelt n° 47250
Traduction pour Karaté Bushido: Anya Méot

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