Il est comme un rocher qui a connu l’assaut de millions de vagues. Il ressemble aussi à la nature, si calme avant la tornade. Son visage est le reflet d’un mental apaisé et d’un esprit enrichi par une vie de maîtrise et de perception. Et surtout, lorsqu’il prend une posture, c’est toute l’authenticité du tai chi que Maître Tung Kai-Ying exprime alors à travers son mouvement décontracté et puissant à la fois. Né à Pékin, Kai-Ying Tung a commencé à enseigner le tai chi à l’âge de 17 ans. Pour ce maître de la troisième génération l’enseignement n’est pas un vain mot. Parcourant la planète de long en large, dispensant des cours en Californie (il y habite), dans le Colorado ou en France, au Danemark ou d’autres pays européens, Maître Tung est l’infatiguable professeur qui se ressource régulièrement en Asie. Témoin privilégié des différences culturelles entre l’Orient et l’Occident Tung Kai-Ying Insiste sur la valeur de la tradition et des relations entre le Maître et ses élèves-disciples.
Un lien véritable
La grande différence, c’est l’intensité. En Occident, vous venez et payez une cotisation et vous vous attendez à avoir quelque chose à rapporter chez vous. En Chine, l’étudiant deviendra l’apprenti du Maître, cela sera une sorte de relation père-fils. C’est une situation plus détendue, car elle se fait à long terme. Il ne s’agit pas d’une chose d’une semaine, d’un mois, d’une année. Le long terme est supérieur pour apprendre. Dans la vieille Chine, l’étudiant habitait chez le Maître. La relation quotidienne créait un lien entre eux. Le Maître était responsable des actions de l’étudiant. S’il n’approuvait pas son comportement il réprimandait ou le battait. Quand le Maître devenait vieux, le disciple avait la responsabilité de prendre soin de lui. Bien sûr, il y avait aussi des étudiants réguliers qui venaient simplement chercher une instruction, payaient et s’en allaient. Mais il ne s’agissait pas d’approcher un maître et de dire : je veux être votre disciple. Il y avait un fort long processus d’examen des antécédents de l’étudiant éventuel. Cette investigation incluait le genre de travail qu’avait fait l’élève, toute question relative à des offenses criminelles, un bilan de caractère. Il n’était pas limité à l’étudiant lui-même mais incluait ses parents et grand-parents. C’était une pratique contrôlée très rituellement.
Tai chi et self défense
La Tung’s Academy of Tai Chi de Los Angeles respecte une formation traditionnelle : les étudiants avancés aident à l’instruction des débutants, pendant que Maître Tung enseigne directement aux autres. Le principal groupe d’étudiants suit à chaque cours le déroulement habituel qui inclut l’enchaînement long de la forme lente avec ses 81 mouvements, la pratique des Tui Shou et les formes rapides. En même temps, de petits groupes de débutants évoluent à travers les formes individuelles. Chacun progresse ainsi à son propre rythme. Tung enseigne l’application de chaque mouvement en self-défense comme une pleine dimension du tai chi. A ce propos il observe : » Par définition, le tai chi chuan est concerné par la self-défense. Mais bien des gens qui viennent aux cours ne sont pas en bonne santé et doivent d’abord renforcer leur corps. Il faut les reconstruire physiquement avant qu’ils puissent apprendre à utiliser les formes. » Une partie de cette reconstruction est accélérée par l’usage des variations rapides de l’enchaînement, variations développées par le grand -père de Tung, qui fut un maître éminent du style Yang. Les formes rapides sont presque identiques, en formes et séquences individuelles, à la forme Yang lente. Mais les mouvements sont plus compacts et faits brusquement. L’observation de la forme rapide révèle clairement où les coups de poing, de pied, et parades émergent de la fluidité du mouvement de base. Mais Tung ne pense pas qu’il faille apprendre la forme rapide pour apprendre les applications : » Si votre professeur travaille là dessus, vous apprendrez la forme lente. La forme rapide, elle, est très utile pour donner de la résistance. Les deux rendent vigoureux. »
Acupuncture et plantes médicinales
En outre, Tung enseigne la pratique des Tui Shou (poussées des mains ou » push hands « ) le sabre, l’épée, la lance et les applications libres. Intégrées originellement au répertoire de base des arts martiaux, les armes aident de nos jours à développer la subtilité. Un autre aspect du tai chi chuan généralement négligé en occident, dit Tung, est sa relations avec les arts de l’acupuncture et des plantes médicinales. Les maîtres d’arts martiaux se devaient jadis d’étudier ces domaines car l’on manquait de médecins. Aussi devinrent-ils très habiles en médecine préventive et de soutien. L’art martial défensif était là pour combattre le » mal « . La connaissance de la médecine et des plantes médicinales aidait le » bien « . Le maître pouvait utiliser l’acupuncture et les solutions de plantes ainsi que les massages dans son enseignement, confie Tung. Dès que l’étudiant entrait dans un exercice difficile, il le frictionnait. » Ainsi, le disciple apprenait la pratique des méridiens, des points de pression et des remèdes de plantes en même temps qu ‘il complétait son entraînement. L’étudiant régulier, mais qui n ‘habitait pas chez le maître, n ‘avait pas l’occasion de bénéficier de ces connaissances. »
Lignage et authenticité
» Le premier principe du tai chi est d’apprendre à se calmer, physiquement et mentalement ; cela conduit au parfait contrôle. C’est en vérité un exercice de l’esprit, qui est entraîné à fonctionner en accord et en harmonie idéale avec la volonté « , rappelle maître Tung. Mais si toutes les écoles travaillent à cela, pourquoi ce qui concerne le rapport avec la forme change-t-il ? Parce que, selon l’optique chinoise traditionnelle, l’authenticité de l’enseignement et son lignage sont d’importance. « Bien des étudiants ne savent pas quelle forme de tai chi ils apprennent et qui est leur profeseur. La façon correcte est de connaître le professeur, le professeur du professeur, et toute la hiérarchie » explique le Maître. Derrière l’image du lignage d’un style, il y a le fait que l’art n’était pas enseigné publiquement en Chine jusqu’à il y a environ un siècle. Les formes ont été préservées pendant des générations par certaines familles. Tandis qu’érudits et chercheurs détiennent les idées les plus variées sur l’origine du tai chi chuan, elle est attribuée à Chang San Feng, un sage taoïste de la fin de la dynastie Sung. L’histoire de la découverte du tai chi chuan est célèbre mais les développements de l’art sont obscurcis par le temps. On admet généralement que Chang San Feng enseigna au Temple du Nuage Blanc sur le mont Wu et qu’après sa mort, l’art fut apporté en la province de Shensi où Wang Tsung Yueh fut célèbre en tant que grand Maître. La pratique fut alors préservée dans le clan Chen de Houan pendant des générations.
Sérénité intérieure
Vers la fin du 19e siècle, un certain Yang Lu Chan, natif de Hopei, entendit parler du tai chi. Pour apprendre les techniques il s’engagea dans la domesticité des Chen. Quand il fut découvert, son habileté était déjà si grande qu’on le lui enseigna de façon complète. Yang Lu Chan enseigna à Pékin et on l’appela alors Yang l’insurpassable. Malgré de longs siècles d’évolution, malgré le nombre et la diversité des Maîtres, le tai chi chuan maintient toujours l’envergure des propos de son fondateur : un art qui incorpore les principes du yin et du yang dans le mouvement. La raison pour laquelle il faut l’étudier avec diligence est, selon les mots de Tung, qu' »/lne s’agit pas de manifester force ou puissance, mais d’atteindre la sérénité intérieure et de découvrir son soi. »
Reportage Jean-Paul Maillet
Traduit de l’Américain par Anya Méot pour Jean-Paul Maillet et Karaté Bushido