extrait de Karaté Bushido N°203

Se peut-il que l’énergie circulaire date d’une époque révolue dans le Tai Chi Chuan ? Elle a temporairement disparu dans la forme Yang pendant les quarante années de l’âge noir du Tai Chi Chuan en Chine, après la mort de Yang Cheng-Fu, et n’a été conservée que par la famille Tung.
Le Tai Chi Chuan Classique dit : « D’abord, essayez de faire des mouvements larges, puis essayez de faire des mouvements plus courts ; ainsi votre Tai Chi deviendra épuré et impénétrable. » Dans la forme longue, vous devez faire de longs pas et des mouvements bas. Vous devez toujours écarter les cuisses pour ouvrir les articulations du bassin et former un cercle avec vos jambes et avec vos pieds à chaque pas. Vous ouvrez les aisselles et faites un cercle avec les bras, ce qui amènera les mains à former un autre cercle. Vous sentez votre énergie couler doucement à travers chaque partie de votre corps. C’est l’entraînement de base pour votre santé mais cela vous permet en outre d’intégrer différents raffinements dans votre Tai Chi. Ce ne sera qu’après avoir longtemps pratiqué la forme longue que vous pourrez pratiquer la forme courte.
Dans la véritable forme courte, vous devez faire des pas plus petits, mais toujours en pliant très bas. Vous devez toujours ouvrir vos cuisses, ouvrir vos aisselles, et former des cercles avec vos bras pour déplacer vos mains dans des mouvements circulaires contrôlés, comme vous le faites dans la forme longue. C’est un exercice difficile. Le Tai Chi Chuan en solo enseigné par Yang Cheng-Fu est une forme longue pour grand public. Tung Ying-Kieh », après l’avoir assimilé, en dégagea une forme courte pour les pratiquants avancés.

La forme courte
Chaque posture correspondait à un mouvement de self-défense active. Il se servit du modèle « Lent et Rapide » tel que le Tai Chi Chuan était enseigné à ses origines, et l’appela la « Forme Rapide de Tung Ying-Kieh » (Ying-Kieh Kwaï Chuan). C’est une combinaison de postures courtes et basses. Il y avait inclus toutes les exigences que l’on trouvait déjà dans la forme longue de Yang Cheng-Fu. Dans les instructions de Tung Ying-Kieh, il est expliqué : « Vous devez emmagasiner votre énergie dans les mouvements lents et la faire jaillir dans les mouvements rapides, avec une vivacité plus importante. Ce n’est qu’après trois années, au moins, de pratique du Tai Chi Chuan que vous serez en mesure de comprendre cet enchaînement rapide ». Le chapitre concernant le « Kwaï Chiian » de Tung Ying-Kieh dans son livre de 1948 a été écrit par son fils Tung Hu-Ling. Ce sont aussi des photos de Tung Hu-Ling qui l’illustrent. Si, se référant simplement aux photographies, on essaie de copier les postures, en descendant les genoux très bas et en faisant des pas plus petits, on comprend que cette forme ne s’adresse pas aux débutants mais aux experts hautement entraînés. Combiner pas courts et position basse, ouverture des cuisses en arc, arrondi des bras pour former des cercles avec les mains, dans toutes les directions, avec un maximum d’énergie et de vivacité, là est toute la difficulté. Il est incorrect d’appeler la combinaison de pas courts avec une position du corps très haute « la forme courte ». Dans une majorité des cas, vous effectuez des cercles avec votre taille, cercles de courts diamètres et de petite circonférence pour que la spirale d’énergie soit plus puissante dans les membres. Avec les cuisses en arc, ouvrez les aisselles et faites des cercles avec les bras -vous sentez un immense flux d’énergie circuler à l’intérieur de tout votre corps. Avec une attention particulière apportée à la forme des mouvements, vous sentez l’énergie se transmettre d’un mouvement à l’autre, naturellement, comme dans la forme longue.
Lorsque Maître Tung faisait ses démonstrations, il se déplaçait tranquillement avec une grande concentration, d’une manière très vive, pour un petit nombre de mouvements enchaînés, puis il poursuivait par quelques mouvements rapides. Il incluait quelques pirouettes et quelques bonds pour tourner dans les différentes directions. Ses démonstrations étaient si vivantes que c’était un réel spectacle artistique, d’une très grande qualité.

Suivre son instinct
Tung Ying-Kieh avait une maxime pour la pratique du Tai Chi Chuan : « Suivez les règles, digérez les règles, inspirez-vous des règles, mais ne déviez jamais des règles. » Il disait aussi : « Pour devenir habile, vous devez suivre votre instinct. Vos mouvements et votre repos, ombres et lumières, ouvertures et fermetures, tout se met peu à peu en ordre ; alors votre instinct se révèle pleinement. » C’est exactement une description du Tai Chi Chuan que fait son fils, Maître Tung Hu-Ling. Dans ses vives exécutions, quand le but n’était pas d’enseigner, il semblait en mesure de faire tout ce qu’il voulait. Ses mouvements étaient tout à fait conformes aux principes du Tai Chi Chuan. Nous fûmes invités, Maître Tung et moi, à une démonstration lors d’une « soirée » à Honolulu. Les organisateurs avaient supposé qu’une petite estrade surélevée, prévue normalement pour les discours, lui suffirait pour faire sa démonstration. Maître Tung n’hésita pas une minute : il monta sur la plate-forme et toujours dans sa très belle position longue et basse, il commença à effectuer des cercles gracieux de ses bras. Au lieu de réduire ses pas à cause du manque de place, il a simplement changé certains de ses pas avant en pas arrière ou sur le côté. Tout était toujours conforme aux principes du Tai Chi Chuan. On ne pouvait y voir aucun compromis. Avec cette énergie venant toujours de la taille, ses mouvements étaient toujours très puissants, vifs et esthétiques. Ce fut là un exemple d’interprétation des lois sans dévier des lois. Mais lors de cette fête, je dus demander un espace plus important pour le sabre et l’épée.
Dans l’application en self-défense, vous ne distinguez pas, chez Maître Tung, les mouvements décrits dans les livres tels que « parer un coup, tirer, presser, pousser, donner un coup d’épaule, pousser du coude », etc. qui sont les mouvements standard des tournois. Avec des mouvements très courts, avec une énergie puissante venant de sa taille extrêmement souple, il pouvait faire n’importe quel mouvement pour défaire son adversaire sans que celui-ci puisse réaliser la raison de sa défaite. Là encore, c’était interpréter les lois sans s’en écarter. Dans l’enseignement et dans les démonstrations, bien sûr, on ne voyait pas tant de mouvements exceptionnels, mais je pense que c’est lors des démonstrations du Tai Chi à l’Epée que sa vivacité et son énergie étaient le plus appréciées. Je n’ai pas véritablement de mots pour décrire sa superbe exécution. Le grand poète ~Du Fu~ de la dynastie des ~Tang Nang~ a écrit un poème « L’éloge de la performance de mademoiselle ~Gung Sun~ à l’Epée », où l’on trouvait des expressions fameuses telles que : « Un dieu chevauchant un dragon dans le ciel » et « Eclairs et tonnerre illuminaient ciel et terre ».
Ce sont des emphases poétiques qui s’appliquent parfaitement à la performance de Tung. Sur un rythme varié, sa gestuelle, son expression, sa puissance, sa vivacité, ses mouvements circulaires effectués en larges et courts diamètres, chaque mouvement, avec la force souple de tout le reste du corps, était déroulé en spirale ascendante, se propageant par le bras jusqu’à l’arme.
Chaque détail de son Tai Chi à l’Epée semblait placé avec un réel goût artistique. C’est la signification de l’interprétation des lois sans dévier de ces lois. Si, dans nos cours, les élèves lui demandaient, comme d’habitude, de montrer quelque chose, il répondait « Montrer quoi ?. Si, parce que j’aimais surtout son Tai Chi à l’Epée je disais : « L’Epée… » Alors il demandait « De quelle façon ? » et la classe répondait « Rapide et lent ». Ses mouvements rapides et lents étaient très esthétiques et très vifs. S’il levait son épée et restait sur place il disait : « Aujourd’hui, je vais essayer de vous apprendre quelque chose sinon vous me volerez tout. » Et lorsqu’il montrait, il y avait effectivement quelque chose de nouveau à chaque fois. A mon retour à la maison, je pratiquais toujours les nouveaux mouvements studieusement, à la recherche de la perfection et je les incorporais au reste de l’enchaînement, jusqu’à ce que cela devienne souple et harmonieux. Lorsque j’effectuais une démonstration, au cours suivant, le nouveau mouvement y était.
Si les étudiants venaient me trouver pour que j’explique le nouveau mouvement, je m’écriais immédiatement : « je l’ai volé ! » parce que je ne voulais pas que la classe imagine que je prenais des cours privés avec Maître Tung. De cette façon, j’ai appris toujours plus et plus de mouvements particuliers de mon maître. S’il avait enseigné ces mouvements d’une manière formelle lors d’un cours, il aurait eu à expliquer tout en détail et à faire des corrections sans fin dans les cours suivants, et le résultat ne serait toujours pas satisfaisant. Dans sa manière d’enseigner, il proposait toujours ces techniques à ceux qui étaient capables de les assimiler, sans que quiconque sente la moindre frustration. Les élèves aimaient aussi le côté divertissant de ses cours.
Il n’est pas vrai que ce que vous lui voliez, il ne vous aidait pas à l’améliorer ; si vous pouviez faire le mouvement volé assez correctement, avec un petit défaut, il vous aidait à vous améliorer. Par exemple, dans l’enchaînement à l’Epée il y a un passage où vous effectuez trois pas en avant : pied gauche, pied droit, pied gauche à nouveau. Lors d’une démonstration, il changea les deux pas à gauche par des bonds. J’aimais beaucoup ces mouvements et je les pratiquais assez correctement. Le cours suivant, je montrai le mouvement, et je changeai les trois pas par des bonds. A la fin, il me signala simplement que mon mouvement serait meilleur si je faisais deux bonds, le second pas devant rester un pas marché. De retour chez moi, je découvris en m’exerçant qu’il avait raison. Aussi je devins plus attentif, plus calme dans mes mouvements, mais plus vif aussi. Ainsi le plus n’est pas le meilleur. A chaque nouvelle démonstration, il ajoutait un ou même deux de ces mouvements spéciaux. Lorsque j’essayais d’ajouter plus d’un mouvement particulier à la fois, je sentais que le résultat n’était pas bon. Encore une fois le plus n’est pas le mieux. Lorsque j’ai, à mon tour, essayé d’innover en ajoutant un des mouvements particuliers, le résultat n’était pas bon non plus. Là est la différence entre un maître et un élève. En dépit de son exécution irréprochable, Maître Tung restait très modeste et n’en parlait jamais. Devant cette attitude, ses élèves ne lui ont jamais fait aucune publicité, ni publié quoi que ce soit le concernant. C’est la raison pour laquelle il était très peu connu aux Etats-Unis, si l’on compare à d’autres professeurs de Tai Chi Chuan. Il n’a jamais émis aucune critique à l’égard des autres professeurs ou des autres styles. En fait, il n’a jamais dit : « mauvais » à ses élèves. Il faisait simplement des corrections. Cette attitude reflétait peut-être sa grande qualité dans l’enseignement du Tai Chi Chuan. Son fils Tung Kaï-Ying, après avoir enseigné à Hong Kong, en Thaïlande, à Singapour, en Malaisie, enseigne à Los Angeles, depuis 1971, le dernier style de Yang Cheng Eu, comme son père et son grand-père. Il voyage aussi pour enseigner régulièrement à San Francisco. En plus de la direction de séminaires et de stages dans différentes villes des Etats-Unis, il parcourt l’Europe, trois fois par an pour donner des cours en Finlande, Italie, France, Norvège, Suède, Suisse et retourne régulièrement enseigner en Asie.

LA FAMILLE DE TUNG HU-LING
La famille de Tung Hu-Ling comprend :
La famille de Tung Kaï-Ying, son fils aîné, avec Charmine son épouse, avec ses enfants Sara, Chen Weï, Esther et Christina, tous à Los Angeles.
Dong Zen-Chen son dernier fils qui a pour fils Alex Da De Dong,
Son frère Tung Jy Bo, qui vit en Chine, ses soeurs Tung Wah ainsi que sa dernière soeur Jasmine Chan à Hong Kong,
Sa femme Li Feng, ses soeurs Dong Chio-Rung et Dong Xiaio-Rung
Et seize petits enfants.

Article paru dans T’ai Chi, « the leading international magazine of T’ai chi ch’uan » publié en Californie, vol 17 n°1 février 1993
avec la contribution de Wu Ta-Yeh et de Henry » Chip » Ellis. Et paru aussi à l’été 1993 au Danemark dans Taichi NYT
Traduit par Anya Méot pour Karaté Bushido n°203 juin 1993

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés.